13

— Gloire à Yun-Shumo, celle qui pardonne, dit l'Humilié. Prions pour que ses promesses soient bientôt tenues. Prions pour que les Jeedai viennent nous libérer de ceux qui nous oppressent, nous terrorisent et nous violentent.

— Prions ! répéta le petit groupe.

Tout en psalmodiant leur réponse, certains n’avaient pas cessé de se gratter pour lutter contre l’eczéma qui les tourmentait. Derrière les voix solennelles de la cérémonie résonnait le frottement des ongles contre les peaux irritées.

— Prions ! répéta Nom Anor à l’unisson avec les autres.

Il portait un grimage Ooglith qui le faisait passer pour un banal ouvrier et lui avait permis d’infiltrer la secte d’hérétiques. Il s’agissait de leur deuxième réunion. L’infiltration était l’un de ses talents les plus aiguisés et il avait réussi à berner des individus bien plus soupçonneux que ceux-ci.

Mais pas pour longtemps, songea-t-il en se grattant nonchalamment une jambe. Ces gens sont condamnés.

Le groupe devait être constitué d’une petite douzaine de personnes. Elles s’étaient réunies dans les sous-sols obscurs d’un bâtiment administratif secondaire tenu par les intendants, normalement désert à cette heure de la nuit. Le groupe était mené par un Humilié, un ancien membre de la caste des intendants dont les implants aux bras avaient très mal tourné et qui laissait toujours derrière lui une trace de pus visqueuse. Même les ouvriers auraient dû avoir meilleur goût et s’abstenir d’écouter les propos d’une créature aussi pitoyable.

Nom Anor avait infiltré la secte par pure curiosité. Ce groupe représentait-il vraiment une menace pour l’orthodoxie, comme le prétendait le Grand Prêtre Jakan ? Ce message de la Rédemption par les Jedi était-il réellement puissant au point de constituer un danger pour les Yuuzhan Vong et leur culture ?

Lorsque la réunion fut terminée, Nom Anor sortit du bâtiment par une porte utilisée par les ouvriers uniquement. La nuit de Yuuzhan’tar était fraîche et agréablement dénuée de la puanteur des chairs pourrissantes des Humiliés. Une brise nocturne vint apaiser la peau irritée de Nom Anor. Des lichens phosphorescents illuminaient çà et là quelques ruines qui n’avaient pas été digérées, des reliques de l’ancienne civilisation de la planète sur le point d’être réduites en matériaux élémentaires très utiles. A la lueur des lichens, Nom Anor s’éloigna tranquillement du centre de la nouvelle cité Yuuzhan Vong et prit la direction d’une zone d’épandage et de ruines qu’on n’avait pas encore déblayées pour installer de nouveaux campements. Il ne voulait pas être distrait afin de pouvoir mieux réfléchir.

L’hérésie des ouvriers repose sur un salmigondis incohérent, songea-t-il. Et pourtant, en considérant que ces hérétiques se choisissent un chef, un Prophète, quelqu’un qui soit capable de transformer la doctrine en arme, ils représenteraient alors un groupe avec lequel il faudrait compter.

L’obéissance, certes, mais pas l’obéissance aveugle aux castes dirigeantes. L’obéissance à un Prophète. A l’extérieur, une passivité et une humilité face à ceux qu’ils considéreraient comme leurs oppresseurs, mais, intérieurement, du ressentiment, de la haine. Une arrogance de la taille d’une galaxie. Quelqu’un… Oui, quelqu’un comme Nom Anor, qui avait inculqué les doctrines religieuses sur Rhommamool, poussant les habitants à se détruire mutuellement lors d’une guerre interplanétaire… Quelqu’un comme Nom Anor pouvait transformer ces hérétiques en quelque chose de très dangereux. Tout ce qu’il fallait, c’était créer un point de bascule, un point au-delà duquel la haine et l’arrogance pouvaient l’emporter sur la passivité et la prudence. Un point au-delà duquel ces hérétiques se transformeraient en armée. Oui, finalement c’était une bonne chose que ces hérétiques subissent une répression.

Se grattant les coudes, Nom Anor fit demi-tour et repartit vers la ville. Dans le ciel, il aperçut les volutes multicolores produites par les basals dovins qui maintenaient en place le grand palais flottant de Shimrra. Voilà, se dit-il, ça c’est de la puissance. Mais quel type d’arc-en-ciel les hérétiques vont-ils réussir à produire ?

Il regagna les zones habitées et, à sa grande surprise, se retrouva à longer une route qui semblait parfaitement dessinée. Il ne s’était pas encore rendu compte que les laborantins étaient déjà parvenus à faire pousser des routes. Il vit alors quelque chose arriver sur la route, venant dans sa direction. C’était un quednak monté par un petit cavalier. Nom Anor fit un pas pour s’écarter et – tenant toujours son rôle d’ouvrier – s’inclina humblement en croisant les bras en travers de sa poitrine. Lorsque la créature écailleuse à six pattes passa devant lui, il put discerner l’identité de son cavalier. Onimi. Cette tête bulbeuse et difforme était reconnaissable entre toutes. Qu’est-ce que le familier du Seigneur Suprême pouvait bien faire par là, si loin du palais et des centres gouvernementaux ?

Nom Anor réfléchit un long moment à la question, observant la créature galoper dans le lointain, puis il se décida à la suivre.

 

La planète Kashyyyk formait un croissant vert étincelant dans la noirceur de l’espace profond. Tout autour, Jaina pouvait voir la masse argentée des vaisseaux capitaux de la Nouvelle République qui avaient transformé ce monde en poste militaire avancé.

Elle était aux commandes de la Supercherie, en alerte sous la cagoule de commandement, au cas où l’ennemi leur fondrait dessus à leur sortie de l’hyperespace. Au lieu de cela, un joyeux message de bienvenue leur parvint des vaisseaux restés à la base pendant que Jaina et son groupe étaient partis en manœuvres.

Lowbacca poussa un grondement enthousiaste.

— J’adorerais rendre visite à ta famille sur Kashyyyk, dit Jaina. Une promenade sous ces grands arbres verts serait idéale.

Elle avait réellement besoin de se débarrasser de cette tension qui raidissait ses épaules et ses bras, d’apaiser cette tristesse qui hantait son esprit, de calmer cette douleur qui lui vrillait le cœur.

Des lumières clignotèrent sur la console de communication que Lowbacca avait installée à bord du vaisseau Yuuzhan Vong. Un petit sifflement strident s’éleva.

[Message du vaisseau étendard], dit Lowie.

— Qu’est-ce que veut le général ?

[Ça ne vient pas de Farlander, précisa le Wookiee. Le message vient de l’Amiral Kre’fey en personne. Il veut que le Général Farlander et toi alliez le rejoindre à bord du Ralroost… « aussitôt que possible ».]

La rançon du succès, songea Jaina.

 

— Ô, grand soldat, est-ce la damutek du noble intendant Hooley Krekk ?

Les tatouages sur le visage de la guerrière se plissèrent lorsqu’elle foudroya Nom Anor du regard. Elle agita son bâton Amphi en direction de la cité.

— Tu n’as pas le droit d’être ici ! Ramène ta misérable carcasse aux baraquements !

Nom Anor, toujours en déguisement d’ouvrier, s’inclina en une parodie d’humilité.

— Avec tout le respect que je vous dois, ô Commandeur, si cette damutek est bien celle de Hooley Krekk, alors j’ai le droit d’être ici.

La guerrière ne sembla guère amadouée par la soudaine promotion – de deux grades – que venait de lui attribuer Nom Anor.

— Ce n’est pas la damutek de Hooley Krekk ! Maintenant, dégage !

Non, bien sûr que ce n’était pas la damutek de Hooley Krekk. Nom Anor venait juste d’inventer ce personnage. Mais il s’agissait bien de la damutek, farouchement gardée, avec laquelle Onimi l’Humilié s’était déplacé. Pour preuve, la monture d’Onimi attendait paisiblement devant l’édifice en léchant nonchalamment un rocher couvert de moisissures. La damutek était une large structure bulbeuse à trois lobes, de laquelle émanait une pâle lueur rosée. Il devait bien y avoir un peloton entier de guerriers en faction devant le bâtiment, ou de réserve dans le campement voisin. Sous ses airs anodins, la structure semblait cacher une importance capitale.

Devant la porte de la damutek, deux Yuuzhan Vong étaient absorbés en pleine conversation. A leur coiffe si particulière, il devait s’agir de deux laborantins.

— Oh misère ! Oh malheur ! Oh désespoir ! gémit Nom Anor, exécutant une petite marche en cercle tout en se donnant de grands coups sur le front.

Ce fut suffisant pour attirer l’attention de deux autres guerriers. L’un d’entre eux était un subalterne, plutôt frêle, avec de longs cheveux filasse.

— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda le subalterne.

L’autre guerrier lui expliqua et le subalterne se tourna vers Nom Anor.

— Il n’y a pas de Hooley Krekk ici ! Maintenant, retourne à ta place !

— Mais, ma place, c’est à la damutek de Hooley Krekk ! gémit Nom Anor. On m’a donné des directions très explicites. A gauche, sur la Place de la Hiérarchie, puis plein sud sur le Boulevard des Supplices des Infidèles, à droite devant le Temple des Modeleurs, puis prendre la grand-route jusqu’au bout. (Il recommença à se donner des gifles.) Oh, misère ! Mon superviseur va me punir !

— C’est moi qui vais te punir si tu ne détales pas d’ici tout de suite ! dit le subalterne, levant son bâton Amphi au-dessus de son épaule.

Nom Anor se jeta à terre pour se prosterner.

— Puis-je demander la clémence de l’officier ? Puis-je lui demander à quel moment je me suis trompé ?

— Tu t’es trompé le jour de ta naissance ! plaisanta l’un des guerriers, déclenchant l’hilarité de ses camarades.

— Alors où se trouve cette damutek ? implora Nom Anor. Comment s’appelle cet endroit ? Il faut que je puisse expliquer à mon maître Hooley Krekk comment je me suis retrouvé ici !

— Cette damutek est exclusivement réservée aux laborantins ! dit le subalterne. (Il projeta violemment son bâton Amphi qui claqua tel un fouet. La douleur brûla le dos de Nom Anor.) Maintenant, dégage, sinon je te colle de force dans leur foutu Cortex !

Nom Anor rampa de côté, comme une sorte de grand crustacé, puis il se releva et regagna la route. Intérieurement, en dépit de la douleur qui lui enflammait le dos, il s’accorda un sourire de satisfaction. Les guerriers sont parfaitement prévisibles, songea-t-il. « Cortex » était un terme employé par les laborantins pour un protocole ou une technique de transformation. Ce qui signifiait que les laborantins travaillaient à un projet si secret qu’il avait fallu, d’une part, les installer loin de la capitale pour ne pas attirer l’attention et, d’autre part, poster un régiment de guerriers pour monter la garde en permanence. Les deux laborantins aperçus dans l’entrée ne faisaient que confirmer ce soupçon. Et, d’une manière ou d’une autre, Onimi était impliqué dans cette affaire.

Nom Anor trébucha sur un défaut de la route et la chair à vif de son dos lui arracha un cri de douleur. Le guerrier n’y était pas allé de main morte avec son bâton Amphi. Nom Anor serra les dents à l’évocation de ce moins que rien arrogant disposant d’une arme plus grande que lui. Il jeta un regard furieux par-dessus son épaule en direction du subalterne et de ses deux soldats. Je m’en souviendrai, se dit-il.

C’est alors qu’il repensa aux hérétiques et à leur réunion, à cette colère et à cette haine qu’ils n’arrivaient même pas à s’avouer eux-mêmes. Oui, médita-t-il, voilà comment tout peut basculer…

 

Jaina peigna ses cheveux, ôta sa combinaison de vol et enfila sa tenue réglementaire. C’était aussi loin qu’elle puisse aller dans la solennité pour se présenter devant l’amiral, car son uniforme d’apparat ne lui avait pas encore été livré depuis qu’elle avait déménagé de sa dernière base. La tenue réglementaire était déjà bien assez stricte, au point qu’elle se sentait mal à l’aise en la portant. Jaina n’arrêtait pas de tirailler le col de son uniforme, assise au côté du Général Farlander, à bord de la navette qui la conduisait au croiseur d’assaut Bothan de l’amiral.

L’un des assistants Bothan de Kre’fey vint accueillir Jaina et Farlander à la sortie du sas et les escorta jusqu’aux appartements privés de l’amiral. L’air, à bord du croiseur, était chargé d’une étonnante odeur étrangère et épicée. Lorsqu’ils atteignirent les quartiers de Kre’fey, une secrétaire leur demanda d’attendre pendant un quart d’heure avant de pouvoir rencontrer l’amiral.

Kre’fey se trouvait seul dans sa salle de briefing, se tenant au bout d’une longue table vide. Farlander et Jaina s’approchèrent de lui et saluèrent.

— Général Farlander et Major Solo à vos ordres, Amiral.

La fourrure blanche de Kre’fey ondula lorsqu’il leur rendit leur salut.

— Votre rapport ?

— Le voici, Monsieur, dit Farlander en remettant une disquette à l’amiral.

Kre’fey introduisit le disque dans un lecteur et étudia les informations qui s’affichaient.

— Un de nos vaisseaux capitaux perdu, un autre endommagé, lut-il. Près d’une centaine de chasseurs stellaires détruits, quarante pour cent seulement des équipages sauvés. Tout ça au cours d’une action non autorisée, visant à chasser un Suprême Commandeur ennemi qui n’était même pas là, planifiée par un sous-officier ?

— Oui, Amiral, admit Farlander.

— Mais quelle victoire foudroyante ! continua Kre’fey, lisant toujours le rapport. Sept vaisseaux capitaux ennemis détruits, ainsi que deux transports embarquant plusieurs milliers de soldats et un Suprême Commandeur tué à bord de son vaisseau amiral. (Ses yeux se levèrent d’abord sur Jaina, puis se posèrent sur Farlander.) Mes sincères félicitations à vous deux. J’aimerais que tous mes subordonnés fassent preuve d’autant d’initiative. (Il serra la main de Farlander.) Excellent travail ! Je vais faire en sorte que vos deux noms soient en tête de la liste des recommandations.

Jaina se sentit rougir en entendant les propos enthousiastes de l’amiral. La tension qui lui vrillait les muscles se relâcha soudainement.

— Merci, Amiral, murmura-t-elle.

Elle fut alors surprise de voir Kre’fey se poster devant elle. Le Bothan fixa ses grands yeux violets pailletés d’or dans les siens.

— Je souhaitais également vous rencontrer en privé pour vous donner des nouvelles de votre famille.

Jaina le dévisagea, sentant l’horreur monter en elle, se préparant à entendre le pire. Ses parents étaient morts… Ou bien avaient été capturés… Ou bien Ben Skywalker avait été assassiné, victime d’une embuscade…

— Votre frère, Jacen, a réussi à échapper à l’ennemi et vient d’arriver sain et sauf sur Mon Calamari, lui annonça Kre’fey. Lorsque vous aurez la possibilité de consulter vos messages personnels, je suis certain que vous obtiendrez tous les détails.

Jaina observa Kre’fey avec une stupéfaction presque froide.

— Vous êtes certain de ce que vous dites, Amiral ? demanda-t-elle. Je l’ai vu, j’ai vu les Yuuzhan Vong… J’étais là…

— C’est la vérité, répondit Kre’fey. On a vu votre frère aux actualités holographiques, il est bel et bien vivant.

Jaina resta bouche bée devant son supérieur. Pourquoi ne l’ai-je pas su ? C’était pourtant Jaina qui s’était elle-même convaincue de la mort de Jacen face aux espoirs de survie nourris par leur mère. Pourquoi n’a-t-il pas cherché à me contacter au moyen de notre lien psychique ? se demanda-t-elle. Et c’est alors que la réponse lui apparut : parce que je me suis coupée de lui. La mort d’Anakin et la capture de Jacen l’avaient poussée vers la folie. Elle avait embrassé les ténèbres et voué son existence à la vengeance. Elle avait rompu les ponts avec tous ceux qu’elle aimait. Y compris Jacen. Qui devait avoir désespérément besoin d’elle. Elle imagina son frère jumeau l’appelant sans cesse et n’obtenant aucune réponse de sa part. Il a dû me croire morte. Quelle peine elle avait dû lui causer !

Elle sentit sur sa langue le goût amer de l’échec.

— Voudriez-vous vous asseoir, Jaina ?

La voix de Farlander flotta vers elle à travers le mur de ténèbres qui semblait la séparer de la réalité.

— Oui, répondit-elle, si c’est possible…

Elle tituba jusqu’à une chaise. Tout en s’asseyant, elle se rappela la délicatesse de l’amiral. Elle releva les yeux vers Traest Kre’fey.

— Merci, Amiral, dit-elle. Je vous suis reconnaissante de m’avoir annoncé la nouvelle.

— C’était le moins que je puisse faire pour notre nouvelle héroïne ! répliqua Kre’fey en s’installant dans le fauteuil au bout de la table. Le Général Farlander et vous nous avez offert une grande victoire. J’aimerais que vous m’organisiez un petit briefing personnel afin que je puisse préparer ma conférence de demain et m’adresser aux autres équipes.

— Très bien, dit Farlander.

Tout en répondant à Kre’fey, il posa un regard inquiet sur Jaina.

— Votre tactique avec les Jedi ? demanda Kre’fey. Votre lien psychique ? Ça marche, ça ?

— Ça marche, mais nous ne disposons que de trop peu d’unités comportant des Jedi, répondit Jaina. Nous avons besoin de beaucoup plus de Jedi pour que cela soit réellement efficace. Même s’il arrive que cela ne soit pas toujours utile. (Ses pensées s’assombrirent quand elle se remémora la tragédie de Myrkr.) Si les Jedi ne sont pas en parfaite cohésion entre eux, alors le lien ne fonctionne pas.

Kre’fey balaya tous ses doutes.

— Je vais demander à ce qu’on nous envoie autant de pilotes Jedi que possible, dit Kre’fey. Après tout, le haut commandement n’a jamais vraiment su comment les employer à bon escient.

— C’est vrai, acquiesça Jaina.

La Nouvelle République n’avait effectivement jamais su quoi faire des Jedi pendant cette guerre. Mais la faute devait être partagée. Les Jedi eux-mêmes n’avaient jamais vraiment su ce qu’ils avaient à faire.

— J’aimerais vous faire part d’autre chose, dit Kre’fey. Je viens tout juste de rentrer de Bothawui. Le deuil de mon cousin Borsk Fey’lya y est à présent terminé. Pendant mon séjour là-bas, j’ai eu la possibilité de rencontrer un certain nombre de Bothan très importants. Et je puis vous dire que ces entretiens ont été couronnés de succès.

— Excellente nouvelle, dit Farlander.

— Comme vous devez le savoir, l’intrigue est une seconde nature chez les Bothan. Ces périodes au cours desquelles nous sommes réunis, en tant que représentants d’une même espèce, sont fort rares et ne se produisent que lorsque nous avons à faire face à un même danger. Tout comme cela s’est produit pendant le règne de l’Empire. Mais aujourd’hui, suite à la mort du Chef d’Etat Fey’lya, le Conseil Bothan a décidé de déclarer l’état de guerre le plus élevé entre Bothawui et les Yuuzhan Vong.

La formulation de la phrase de Kre’fey obligea Jaina à relever la tête.

— L’état de guerre le plus élevé ? répéta-t-elle. Mais vous êtes déjà en guerre, non ?

Kre’fey prit un air solennel.

— Nous étions jusqu’alors dans un état de guerre que vous pourriez qualifier de « normal », dit-il. Le plus élevé des états – qu’on appelle ar’krai – n’avait même pas été déclaré du temps de Palpatine. L’ar’krai n’a été déclaré que deux fois au cours de notre histoire, et uniquement en des occasions où la survie de notre espèce était en jeu. Cela signifie que nous déclarons une guerre totale et absolue à nos adversaires et que cette guerre ne cessera pas tant que nos ennemis n’auront pas été complètement éliminés.

— Vous avez déjà… éliminé des espèces ? demanda le général Farlander.

— Dans un lointain passé, répondit Kre’fey. Nous ne mettons pas fin à l’ar’krai tant que nous ne sommes pas certains d’avoir tué le dernier de nos ennemis, que leur nom est à jamais rayé de l’histoire, leurs planètes, réduites en poussière volant au gré des vents spatiaux. (Il posa ses deux mains sur le dessus de la table. Sa fourrure blanche se refléta parfaitement dans la surface noire et polie du plateau.) Et c’est ce que nous allons faire avec les Yuuzhan Vong, reprit-il. Nous les transformerons en poussière, ou bien nous finirons nous-mêmes en poussière.

Jaina observa le visage sévère de l’amiral. Elle sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine devant la détermination calme tapie derrière ses propos.

 

Nen Yim ne put s’empêcher de frissonner de dégoût en tendant la main vers l’Humilié, même si c’était uniquement pour lui remettre la flasque. Elle ne put également s’empêcher d’être horrifiée lorsque la créature déboucha la flasque immédiatement pour oindre son corps difforme. Les aigrettes de sa coiffe en tressaillirent.

— Mais c’est pour le Seigneur Suprême ! dit-elle.

— J’en garderai assez pour Shimrra, répondit Onimi.

— Il devrait en rester aussi pour les autres laborantins, reprit Nen Yim. Il faut qu’ils puissent créer des tonnes de…

— Je sais, je sais, Maîtresse Laborantine hérétique, dit Onimi. J’en laisserai suffisamment pour les autres.

Il étala la lotion vert pâle sur sa peau grisâtre et irritée, puis soupira.

— Ça marche, confirma-t-il.

— Bien sûr que ça marche ! aboya Nen Yim.

Même si Onimi était son seul et unique intermédiaire avec le Seigneur Suprême, à ses yeux l’impudence de l’Humilié dépassait souvent les bornes. Onimi ne prêta guère attention à la colère de la laborantine.

— Pensez à toutes ces heures épuisantes que vous nous faites économiser, dit-il. En nous débarrassant enfin de ces démangeaisons.

Le baume avait en tout cas sauvé la santé mentale de Nen Yim. Depuis qu’elle avait quitté le commandement de Tsavong Lah pour venir travailler sur Yuuzhan’tar, sous les ordres de Shimrra, elle avait été l’une des victimes les plus affectées par l’épidémie d’eczéma. Elle avait eu beaucoup de mal à se concentrer pour pouvoir mettre au point l’antidote.

Onimi et elle se trouvaient face à face dans une pièce séparée du reste de l’édifice par une membrane striée de veines convoyant du sang oxygéné. Les lichens phosphorescents illuminaient l’espace ambiant d’une teinte rougeâtre, ce qui était très utile lorsqu’on manipulait des tissus vivants hypersensibles à la lumière. L’odeur piquante de la lotion contrastait avec les puanteurs organiques qui flottaient dans l’air, tels l’odeur cuivrée du sang, les parfums tourbés de protoplasmes non identifiés, les tissus sur lesquels Nen Yim réalisait ses expériences de mutation forcées ou autres. Sur lesquels elle pratiquait l’hérésie. Le Huitième Cortex était reconnu chez les Yuuzhan Vong comme le stade ultime du savoir des laborantins sur la métamorphose. C’était la plus raffinée et la plus parfaite des procédures, un don des dieux datant de temps immémoriaux, connue seulement du Seigneur Suprême et de quelques maîtres laborantins avec qui il acceptait de partager ce savoir.

Seuls ceux qui avaient effectivement vu le Huitième Cortex savaient pertinemment qu’il s’agissait d’une fraude. En fait, ce cortex était quasiment vide. Il ne contenait que quelques techniques avancées, que Shimrra avait déjà eu la bonté de partager avec ses gens. La connaissance des Yuuzhan Vong avait donc atteint ses limites. Et Shimrra s’était tourné vers Nen Yim, une laborantine convaincue d’hérésie pour ne pas avoir cherché à travailler sur les techniques de jadis et pour s’être consacrée à la découverte de nouvelles procédures. La tâche incombait à présent à Nen Yim et à ses adeptes de créer le Huitième Cortex, de fournir des connaissances médites qui permettraient aux Yuuzhan Vong de gagner la guerre et de s’installer sans encombre sur leur nouveau monde.

Nen Yim avait donc fait appel à toutes les ressources Yuuzhan Vong possibles et imaginables. Ses recherches, en cas de litige, l’emportaient sur tout autre sujet, même lorsqu’il s’agissait de domaines d’importance concernant le conflit. Son équipe possédait sa propre damutek, isolée et farouchement gardée. Le seul visiteur qui y était admis était Onimi, ambassadeur spécial du Seigneur Suprême. Mais les gardes n’étaient pas là uniquement pour empêcher tout ennemi d’intervenir dans ses travaux. Ils devaient également empêcher Nen Yim et ses équipiers de s’échapper pour aller contaminer les autres Yuuzhan Vong avec leurs idées hérétiques. Les Yuuzhan Vong sélectionnés pour travailler au Huitième Cortex étaient totalement séparés de leurs congénères. Isolés comme des pestiférés.

Nen Yim se doutait qu’à la fin de ce projet, une fois que le Huitième Cortex et ses mille et une techniques de transformation seraient opérationnels, son équipe, elle-même et Onimi seraient éliminés sans autre forme de procès. Toute trace de leur existence serait à jamais effacée. Mais, si cela devait se produire, Nen Yim était prête à l’accepter. Elle avait embrassé la mort plus d’une fois déjà au cours de son existence. La vie, après tout, n’était rien d’autre qu’une lente préparation à la mort. Une fois le Huitième Cortex achevé, elle aurait consacré le travail de toute son existence à l’élimination des ennemis et à la gloire de son peuple.

Onimi termina d’appliquer la lotion. Il se redressa de toute sa hauteur sur ses jambes grêles.

— Je suppose que les effets de cet onguent sont limités.

— Oui, il tue l’infection, mais cela n’empêche pas d’être contaminé à nouveau.

Les yeux déconcertants d’Onimi, l’un d’eux était bien plus bas que l’autre, se posèrent sur Nen Yim.

— Et nous risquons vraiment d’être infectés à nouveau, n’est-ce pas ?

— J’en ai peur. Les spores sont partout.

— Est-ce que le Cerveau Monde peut être programmé pour produire un organisme capable de tuer les spores ? Une sorte de virus, de bactérie, qui ne s’en prendrait qu’à cette infestation et enrayerait le problème ?

Nen Yim hésita.

— J’ai bien peur, osa-t-elle dire, que le Cerveau Monde soit le problème.

La lumière rougeâtre de la pièce se refléta dans les yeux d’Onimi de façon inquiétante. La fente irrégulière qui lui servait de bouche se tordit.

— Comment est-ce possible, Maîtresse Laborantine ? demanda-t-il.

— J’ai examiné l’organisme qui cause ces crises d’eczéma avec la plus grande attention. Cependant, des analyses plus poussées seraient certainement nécessaires pour le confirmer. Je crois que les spores et les moisissures sont Yuuzhan Vong, qu’elles ne sont pas originaires de Yuuzhan’tar.

Onimi laissa échapper un sifflement.

— Ch’Gang Hool ! Quel imbécile ! Il a contaminé le Cerveau Monde ! (Il marqua une pause et réfléchit.) Est-il possible d’ordonner au Cerveau Monde de cesser la production des spores ?

— Peut-être. Mais il faudrait que je délaisse mon travail habituel.

— Non, n’en faites rien. Un nouveau clan vient d’être nommé à la tête du Cerveau Monde et du projet de transformation. Ce sont eux qui doivent faire le travail. (Son expression devint pensive.) Les dieux peuvent parler de ce problème à Shimrra et celui-ci peut ensuite donner ses ordres au nouveau clan de laborantins.

Nen Yim sentit le dégoût monter en elle. Elle était peut-être hérétique, mais elle éprouvait tout de même suffisamment de respect pour les dieux pour ne pas prétendre que ses connaissances étaient de source divine.

— Le Seigneur Suprême veut que vous consacriez votre travail aux yammosks, reprit Onimi. Nous devons mettre au point un coordinateur de guerre insensible aux tentatives des infidèles de manipuler le spectre gravifique. A ces fins, le Seigneur Suprême vous donne le champ totalement libre pour vos recherches concernant les armes et technologies de nos ennemis.

Nen Yim feignit la surprise.

— Si nous savions comment les infidèles parviennent à produire ces interférences, répliqua-t-elle, le travail serait grandement facilité.

— On sait que les infidèles disposent d’appareils de manipulation de la gravité appelés « répulseurs ». Ils ne sont pas aussi flexibles ni aussi utiles que nos basals dovins, mais ils semblent fonctionner sur les mêmes principes. Il se peut qu’ils aient modifié l’une de ces machines pour duper les yammosks.

Nen Yim réfléchit quelques instants.

— Est-ce qu’il serait possible de me faire parvenir l’un de ces répulseurs ?

Onimi lui adressa un sourire sinistre.

— Je vais vous en faire livrer un, accompagné de la traduction de son mode d’emploi.

— Veillez à ce qu’il soit protégé de nos bactéries rongeuses de métal.

— Oui, bien entendu. (Ses yeux en biais étincelèrent.) Shimrra prie tous les jours pour que l’on trouve une solution à ce problème. Puis-je lui annoncer que les dieux seront bientôt en mesure de répondre à ses attentes ?

— Les dieux devraient d’abord être en mesure de me fournir un répulseur…

Onimi s’inclina et croisa les bras pour saluer. Il releva la tête en biais de manière ironique.

— Que vos efforts soient couronnés de succès, Maîtresse Laborantine.

— Les vôtres aussi, Onimi.

La silhouette difforme sortit de la pièce. Nen Yim l’observa s’en aller et pinça les lèvres de dégoût.

— Quels que soient ces efforts, pauvre créature, marmonna-t-elle. Quels que soient ces efforts…

La voie du destin
titlepage.xhtml
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_000.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_001.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_002.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_003.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_004.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_005.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_006.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_007.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_008.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_009.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_010.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_011.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_012.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_013.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_014.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_015.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_016.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_017.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_018.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_019.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_020.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_021.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_022.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_023.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_024.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_025.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_026.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_027.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_028.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_029.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_030.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_031.htm
Walter Jon Williams - La voie du destin_split_032.htm